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Libération (France)
La guerre qui se prépare ne fera qu'aggraver la situation des populations chrétiennes irakiennes minoritaires.
Les oubliés de l'Occident
Par Joseph YACOUB
vendredi 07 février 2003
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Joseph Yacoub est professeur de sciences politiques à l'université catholique de Lyon. Dernier ouvrage paru : «Au nom de Dieu !» J.-C. Lattès, 2002.
Sur 22 millions d'habitants que compte l'Irak, un million est chrétien, dont 85 % Assyro-Chaldéens.
«Bombarder à nouveau l'Irak n'aura aucun résultat concret, à part celui d'aggraver la fracture entre l'Occident et l'Orient (...), même si les gens n'oublient pas la responsabilité du régime irakien», déclarait récemment Raphaël 1er Bidawid, patriarche chaldéen de Bagdad.
Sur 22 millions d'habitants que compte l'Irak, un million est chrétien dont 85 % Assyro-Chaldéens. Les guerres du Golfe (1980 et 1991) ont été incontestablement un indice révélateur d'un certain nombre de contradictions politiques, religieuses et culturelles qui couvent en Irak concernant la population chrétienne. Et celle, malheureusement, qui se prépare ne fera à l'évidence qu'aggraver leur situation. Car un nouveau conflit n'engendrerait que haine et colère supplémentaire. Les menaces actuelles sur l'Irak compliqueraient à l'extrême leurs rapports avec leurs concitoyens musulmans. En outre, cette minorité a d'autant plus peur qu'elle a le sentiment d'être oubliée et abandonnée par l'Occident, et qu'une guerre ne ferait que fragiliser encore davantage son statut déjà vulnérable.
Quelle que soit l'issue politique du régime irakien actuel, il y a de fortes raisons de craindre une régression dans la situation des Assyro-Chaldéens de ce pays. Une immigration, à caractère massif, à destination des Etats-Unis, du Canada, de l'Europe, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, s'est, depuis 1991, amplifiée, ce qui réduit sensiblement le nombre de cette communauté autochtone et diminue son impact dans le paysage social, sur l'échiquier politique irakien, et accentue sa marginalisation. Depuis l'autorisation donnée aux Irakiens à la mi-mai 1991 de quitter le pays, un grand nombre de chrétiens se sont lancés sur les routes de l'exil. Ils sont nos voisins à Sarcelles par exemple. Les informations actuelles en provenance d'Irak ne font que le corroborer. Face à la reprise en main par le pouvoir de Bagdad, la décomposition du pays, la montée de l'intégrisme dans la société civile, les divisions et combats fratricides au sein des Kurdes, la faiblesse et les rivalités au sein de l'opposition irakienne, les ambiguïtés de la communauté internationale, ils redoutent le retour et s'interrogent sur leur destinée.
Dans un climat général d'incertitudes sur l'avenir de l'Etat irakien et de son régime, en l'absence de confiance entre le peuple et les dirigeants, vu la situation économique désastreuse du pays, devenus des personnes ruinées, craignant une revanche de la part des autorités, et la vindicte de la société civile en raison de leur obédience religieuse, et de l'amalgame entre chrétiens occidentaux et orientaux, les chrétiens de ce pays sont terriblement inquiets et dans l'expectative. Non seulement ils appréhendent les éventuelles mesures de rétorsion des autorités, l'insécurité dans les régions kurdes au Nord, mais exigent des garanties juridiques et politiques qui les reconnaîtraient dans leurs droits civiques et culturels. Que Saddam Hussein se maintienne ou non au pouvoir, les chrétiens ne pourront plus bénéficier du même statut, et ce, pour des raisons à la fois économiques, idéologiques et politiques. Que l'Irak politique de demain soit entre les mains des militaires, des civils ou des religieux (chiites), sous un régime démocratique ou autoritaire, on est tenté de voir les droits des Assyro-Chaldéens s'amenuiser. Un nationalisme intégral panarabe ou simplement irakien, ou une idéologie religieuse exclusiviste (un islam intégriste), aurait pour effet de rejeter les citoyens irakiens supposés non arabes et les sujets non musulmans.
Le grand danger à leurs yeux reste l'islamisation du pays. En effet, la poussée environnementale (le contexte régional) et interne (propre à l'Irak) du fondamentalisme met cette population dans un état de «peur justifiée», selon l'expression de Louis Sako, intellectuel irakien, qui la stimule à prendre le chemin de l'exil. Tant que le Moyen-Orient reste agité par la contestation islamiste et l'angoisse qui en dérive, le non-règlement du conflit israélo-palestinien et arabe, les atermoiements de l'Europe, les visées hégémoniques américaines, les chrétiens ne ressentiront pas de repos.
Depuis 1991, plus de 250 000 individus, à savoir le quart de la population chrétienne, surtout des jeunes, ont quitté l'Irak en direction de l'Occident, souvent dans des conditions lamentables. Le prix à payer sécuritaire, économique, moral et identitaire fut élevé. Plus de trente mille attendent démunis en Jordanie. D'autres en Turquie et en Grèce. C'est à l'évidence une perte énorme pour l'Irak, tout à la fois pour ses chrétiens et ses musulmans. C'est une hémorragie migratoire sans précédent, due en grande partie à cette guerre ouverte du Golfe qui se poursuit, folle et sélective, et cet embargo inhumain et destructeur de tout un peuple dans toutes ses composantes religieuses (musulmans et chrétiens) et ethniques (Arabes, Kurdes, Turkmènes, Yézidis...).
En même temps, les Assyro-Chaldéens éprouvent un profond sentiment d'appartenance à l'Irak qu'ils considèrent comme leur patrie, la Mésopotamie, oeuvrent pour sa stabilité politique et sont hostiles aux ingérences qui se préparent et à toute idée de partition du pays qui se pointe à l'horizon.
-- andreas
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